Plus rien ne sera comme avant. Les changements profonds exigés par une partie de la société espagnole depuis les élections du 20 décembre dernier, ont pour objet de mettre un terme à ce que ce Tiers-État moderne, habilement instrumentalisé par les activistes de Podemos, qualifie des privilèges de la «caste». Podemos, pour ceux qui l’ignoreraient, est un parti politique né sur la vague des « indignés », construit avec beaucoup d’habileté par une poignée d’économistes et politicologues anti système, longtemps financés par le régime chaviste du Vénézuela, voire par Téhéran selon l’Unité Centrale de Délinquance Économique et Fiscale (UDEF) de la Police espagnole. Ce qui expliquerait, selon divers médias espagnols, le refus de Podemos de s’associer au pacte anti Jihadiste proposé par le PP à tous les partis espagnols, après les attentats parisiens.
L’Espagne, donc, abonnée à un bipartisme mesuré depuis la transition démocratique de 1978, découvre le même type de situation que la France de 1789, quand, instrumentalisé par la bourgeoisie, le peuple décida d’en finir avec l’Ancien Régime. Au premier rang des privilèges qu’il conviendrait d’abolir pour améliorer la condition de ce tiers état moderne, se trouve bien sûr la corrida. Et il serait dangereux de penser que les décisions qui seraient éventuellement prises en Espagne n’auraient aucune incidence en France.
Ces décisions dépendent aujourd’hui de la majorité gouvernementale qui émergera d’une représentation nationale éclatée entre quatre partis principaux, les deux partis de gouvernements traditionnels, PP et PSOE, ne pouvant à eux seuls former un gouvernement, faute de disposer d’une majorité absolue. Mais aucun des deux ne peut non plus obtenir cette majorité absolue en s’alliant seulement avec son partenaire le plus proche idéologiquement : l’ultra gauche de Podemos pour le PSOE, le centre droit de Ciudadanos pour le PP. Voire même PSOE et Ciudadanos au sein d’une alliance démocrate chrétienne moins clivante qu’avec le PP. Pour faire simple, l’Espagne découvre aujourd’hui les charmes de la IVème République dont la France se débarrassa en entrant dans la Vème avec la Constitution de 1958 qui instaura le système majoritaire à deux tours, injuste en ce qu’il implique une sous représentation des partis minoritaires, mais garant de stabilité en favorisant la confection de majorités de gouvernement. Une IVème République célèbre pour son instabilité politique qui faisait la part belle aux petits partis souvent nécessaires pour boucler des majorités parfois hétéroclites.
Depuis que les élections municipales, grâce à l’appui du PSOE, ont confié diverses grandes villes à l’ultra gauche dont Podemos a su catalyser l’émiettement traditionnel en une multitude de groupuscules inaudibles, les attaques n’ont pas manqué, et, à son habitude, le secteur taurin espagnol a répondu tard et en ordre dispersé. De même qu’en 2005, quand les velléités d’interdiction en Catalogne apparurent chez les indépendantistes les plus radicaux qui voyaient dans cette mesure un coup symbolique porté à la Nation, le secteur taurin a préféré faire le dos rond en espérant qu’il ne s’agissait que d’épiphénomènes isolés ne portant préjudice qu’au voisin. On sait aujourd’hui où l’autisme dont il fit preuve en 2005 face au glissement irrémédiable de la Catalogne nous a menés et il n’est pas inutile de rappeler qu’en France, à la même époque, c’est en prenant conscience de la gravité de la situation, que l’ONCT fut créé.
Ceci dit, à quoi peut-on s’attendre dans les prochains mois ? Au pire, si, comme il semble en avoir l’intention, le secrétaire général du PSOE se lance dans une alliance tous azimuts dans laquelle on retrouverait Podemos et Ciudadanos, mais aussi les partis indépendantistes basques et catalans, tous – sauf Ciudadanos – favorables à l’interdiction des corridas au nom du bien-être animal, une loi très restrictive n’est pas à exclure. Au mieux, pour lui et pour l’Espagne, le PSOE renoncerait à cette aventure dans laquelle il perdrait son âme, et accepterait plutôt le pacte de gouvernement que lui propose le PP, avec Ciudadanos, afin de faire face au risque de troubles graves que fait peser le procesus indépendantiste de la Catalogne sur le pays entier. En pareil cas, le statu quo actuel serait préservé. Jusqu’à quand ? Bien malin qui pourrait le dire, dans le contexte de grande instabilité idéologique qui exacerbe les confrontations et favorise le populisme.
Un populisme qui distille son poison dans les rues de Nîmes depuis deux jours et pour deux jours encore, où le radicalisme anti tout
compte bien se mettre en scène, à l'occasion du procès de Rodilhan qui pourrait réserver de juteuses surprises à l'audience.
André Viard