LE POINT GODWIN



L'année s'achève dans un déchaînement inquiétant de manifestations xénophobes dont on aurait tort de vouloir donner une explication simpliste. Haines recuites et mutuelles de pulsions communautaristes, récupération politique de mouvements de fond, inversion des valeurs par seul souci de propagande, les limites de la décence, du vivre ensemble et du respect qui devrait présider entre des groupes humains qui pensent différemment, sont le thermomètre d'une crise profonde que l'on ne résoudra ni par l'invective, ni par la condamnation, mais par un effort d'éducation dont la confusion actuelle empêche de comprendre qui pourrait être crédible pour le mener à bien.

Le plus amusant, si l'on peut dire, est d'entendre qualifier la quenelle de Dieudonné comme un "geste anti système" par certains de ceux qui font partie des nantis de celui-ci, et qui sont surtout victimes - il vaut mieux le croire - de leur absence totale de repères, voire de moralité. La réflexion vaut pour les sportifs de haut niveau pris en flagrant délit de geste prohibé, mais aussi pour le cinéaste Jeunet qui, dans sa lettre indigne au maire de Beaucaire, accuse les aficionados d'être nés "trop prés du mur", référence explicite à la xénophobie antisémite de Dieudonné.

On peut donc être un cinéaste de talent tout en étant un petit monsieur, incapable de considérer une culture dont on ignore les valeurs autrement que sous l'angle de la stigmatisation. Mais comment s'en étonner, alors que depuis des années les terme d'aficionazis et de tortionnaires fleurissent sur les réseaux sociaux, conformément à la fameuse loi de Godwin qui est en passe de devenir le seul mode d'argumentation de ceux pour qui une culture que l'on ne partage pas doit être obligatoirement éradiquée.

La loi de Godwin, on peut la résumer ainsi : «Plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1». Atteindre le point Godwin revient donc à signifier à son interlocuteur qu'il vient de se discréditer en vérifiant la loi de Godwin. L'injure absolue, porteuse d'opprobre universel et de condamnation unanime. Le sujet est sensible, et pour l'avoir effleuré voici quelques jours, j'ai eu droit de la part des milieux anti taurin à une campagne d'indignation orchestrée par l'ineffable Hubert Montagner qui en appelait aux institutions juives... Ignore-t-il, le cher homme, que le Front National compte parmi les plus fidèles soutiens de la pétition qu'il a lancé pour interdire les mineurs d'arènes ? Si c'est le cas, une visite sur ce site lui montrera que l'on peut se retrouver soi-même dans le camps que l'on condamne, sans que cela soit forcément vrai (lire).

Si j'avais du temps à perdre, ce qui semble être son cas, je prendrais celui de lui répondre, tout comme je répondrais à un psychiatre du nom de Richer, dont le fond de commerce depuis six ans déjà est également l'interdiction des mineurs d'arènes. Lui aussi a la mémoire sélective, puisque lors des "rencontres animal et société" organisées en mai et juin 2008 à Paris, l'occasion lui fut offerte de démontrer la véracité de sa thèse, lorsque, à ma demande en tant que président de l'Observatoire, le gouvernement avait accepté le principe d'une étude statistique sur les "ravages" que, selon lui, la corrida provoquerait au sein de la population enfantine. Convaincu que les résultats de cette étude statistique démontreraient le contraire de ce qu'il prétend, le dit Richer avait voté contre, de même que toutes les associations abolitionnistes, et le projet fut donc enterré, ce qui lui permet de rabâcher son antienne dans tous les medias complaisants.

Et c'est précisément dans ces condamnations que se trouve l'origine du problème : le nôtre, mais aussi celui de tous ceux qui, mis à l'index de diverses manières, se retrouvent dans la position de cible sur laquelle il devient légitime de tirer. En ce qui nous concerne, les manifestations, même violentes, ne sont que le thermomètre d'une fièvre plus profonde qui se situe au niveau de cette banalisation du discours de haine que des irresponsables propagent à notre encontre. Un discours de haine qui est devenu depuis peu une des préoccupations du gouvernement qui entend y mettre un coup d'arrêt, et pas qu'au niveau de la quenelle.

Dans le collimateur des services spécialisés, on trouve les associations qui le propagent mais aussi les anonymes qui, à l'abri d'un pseudonyme, déversent leur fiel en ligne. Contre les premières, les sanctions sont faciles à prendre, et il est à prévoir qu'elles vont se multiplier. Quant aux autres, l'anonymat d'internet risque de faire l'objet d'une loi qui y mettra un terme, rendant également possible des poursuites et des sanctions.

À visage découvert, il est moins confortable de menacer ou d'injurier. Et c'est surtout beaucoup plus facilement pénalisable. L'éducation, on le sait depuis longtemps, consiste dans l'art de manier la carotte et le bâton. Je n'aurai pas l'impolitesse de dire à monsieur Jeunet qu'il se carre la première au même endroit qu'il a indiqué dans sa lettre de retour de la médaille de Beaucaire, mais pour éviter d'y recevoir le bâton je lui conseillerais de réfléchir aux propos clairement discriminatoires qu'il a tenu envers les aficionados. Le délai d'un dépôt de plainte en diffamation étant de trois mois, cela lui laisse le temps de penser aux conséquences qu'aurait pour lui d'être à son tour assimilé à ce mur de la honte dont il a fait reproche aux aficionados de trop s'approcher, en utilisant les mêmes procédés que par ailleurs il dit condamner.

Et pour lui montrer à quel point les apparences sont trompeuses, qu'il réfléchisse, tant qu'il y est, sur ce fait divers dont sont les tristes protagonistes ses amis animalistes : une jeune étudiante italienne, atteinte de quatre maladies génétiques rares, s'est fait insulter sur sa page Facebook après avoir défendu les tests cliniques sur les animaux. Quelques heures après ce message, elle comptabilisait 500 insultes et 30 souhaits de la voir mourir de la part de personnes se disant défenseurs de la cause animale. lire.

Et les duettites Montagner-Richer, ils en pensent quoi de leurs amis animalistes qu'on ne peut soupçonner d'être devenu aussi immonde en fréquentant les arènes ?

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André Viard